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Agenda

Evénement

le 24 janvier 2015

Réception d'Alain Brunet

Sylvaine Boige-Faure

Le 24 janvier 2015 à La Roche-de-Glun, l'Académie drômoise accueillait un nouveau membre, Alain Brunet.

Discours de réception de Sylvaine Boige-Faure

J'ai l'honneur et le plaisir de vous présenter Alain Brunet, que l'on a coutume de ne pas présenter tant il est connu dans notre département, notre pays et bien au-delà encore.

Il vient enrichir notre Académie drômoise dans la section Arts d'abord par son talent de musicien- Il est un trompettiste de jazz qui se produit dans le monde entier- mais aussi par les fonctions qu'il a occupées jusqu'en 2012 en sa qualité de haut fonctionnaire de l'État : sous préfet puis conseiller technique au cabinet du ministre de la culture ; puis chef de cabinet du même ministre de la culture, l'illustre Jack Lang devenu ensuite ministre de l'Education nationale et de la culture ; enfin inspecteur général de l'administration de l'Education nationale et de la Recherche.

Ces deux premières illustrations d'une biographie très dense, avec cette double carrière de musicien et de fonctionnaire, me permettent de planter un peu le décor.

Mais permettez-moi de remonter un peu plus loin depuis sa naissance.

Alain Brunet est né le 6 mars 1947 (l'âge de l'un de mes frères et de mon époux) en Drôme des collines, à Saint-Sorlin-en-Valloire, village situé à 5 kms du mien. Vous comprenez tout de suite pourquoi je me suis donné le privilège de le présenter ! J'ai eu le plaisir de rencontrer ce bel adolescent qui fréquentait le même collège que moi et avait intégré les rangs de l'harmonie municipale dès l'âge de 10 ans avec sa première trompette.

Mais vous avez peut-être vous-même connu ou croisé son papa, André Brunet, maire de Saint-Sorlin de 1965 à 1995 qui avait succédé à son père Clovis Brunet maire de 1947 à 1965 ; André Brunet décédé en 1996, avait été conseiller général, conseiller régional puis député de la Drôme en sa qualité de suppléant de Georges Fillioud.

Après le collège Denis Brunet de Saint-Sorlin, il est admis à l'école Normale d'instituteurs de Valence puis à la Sorbonne où il obtient en 1973 une maîtrise de lettres modernes et l'année suivante un DEA de musicologie.

Ses deux talents d'administrateur et de musicien, mais aussi son sens inné de la communication, l'ont amené à exercer de nombreuses fonctions : sous-préfet dans le Tarn, la Nièvre, les Pyrénées orientale ; chef de cabinet de Jack Lang au ministère de la culture puis au ministère de l'Education nationale. Inspecteur général de l'administration de l'Éducation Nationale et de la Recherche 20 années durant jusqu'au 6 mars 2012, date où le ministère lui a demandé de faire valoir ses droits à pension de retraite ! Au cours de cette deuxième partie de carrière, Il fit partie de l'équipe de direction de la Cinqiuième, chaîne de télévision devenue France 5 en qualité de conseiller de Jean-Marie Cavada qu'il a suivi ensuite à la direction générale de RFO. Enfin, il fut chargé d'un séminaire pour étudiants de 3e cycle sur la télévision et l'internet à l'université des lettres de Nice-Sophia Antipolis de 1999 à 2005.

Parallèlement à sa carrière de fonctionnaire, le musicien s'affirme et se confirme très vite.

À 20 ans il crée son premier orchestre professionnel avec lequel il enregistre pour France Musique.

Il enregistre son premier CD en 1975, mais on en compte plus de 10 aujourd'hui sous son nom.

On se souvient aussi de son brillant passage au conseil général de la Drôme en tant que directeur et fondateur de l'ADDIM (Association Départemental de Diffusion et d'Initiation musicales de la Drôme), partenaire incontournable de tous les festivals et concerts du département. C'est à cet époque qu'il a créé et dirigé le Grand orchestre de jazz de la Drôme.

À l'initiative de la fête de la Musique et des premiers concerts du Château de Grignan, Il a crée le festival de musique contemporaine de Romans en 1976, puis "Parfum de Jazz", festival en Drôme Provençale et enfin "Jazz au cloitre" à Saint-Genis-des-Fontaines dans les Pyrénées Orientales.

Sa passion, on l'a compris, c'est le jazz ; il a participé aux plus grands festivals du monde : Montreux, Paris, Nice, Juan les Pins, Newport à New-York, San Francisco, Rome, Varsovie, Moscou, Sydney, Tokyo…., et s'est produit sur les scènes d'un grand nombre de pays européens, aux USA (il a enregistré 4 CD en Californie), en Amérique du sud, en Australie, au Japon, dans l'Océan indien et le Pacifique sud.

Il a joué avec les plus grands : Michel Legrand, Michel Portal, Michel Petrucciani, Stéphane Grappelli, Dee Dee Bridgewater, CHARITO, Sonny Stitt, Clark Terry… et a participé à des formations bien connues comme l'Orchestre National de France, le Paris-Jazz-Big-Band et le Big band de l'union européenne où il représentait la France.

Il est aussi auteur- compositeur, membre de la SACEM, où l'on compte une vingtaine de ses créations.

Enfin, nous l'avons entendu sur de nombreuses ondes et tout particulièrement sur France Musique, France Culture en invité d'émissions consacrées à la musique de jazz ; sur Antenne 2 en présentateur associé à Ève Ruggieri pour un certain nombre de Musiques au cœur. Depuis 2011, il figure au dictionnaire des musiciens de jazz (collection Bouquins) et il y a un an, le philosophe Lucien Malson, l'auteur de Les enfants sauvages, qui fut longtemps le critique jazz du Monde lui a consacré un long et élogieux portait dans le dernier numéro des Cahiers du jazz.

Aujourd'hui, il se produit essentiellement avec le groupe Akpé Motion, avec lequel il a enregistré deux très beaux CD, le troisième étant quasiment achevé ; il vient de parcourir en 2014, trois mois durant, de nombreux pays enchanteurs comme l'Ile Maurice, la Réunion, la Nouvelle Calédonie, la Polynésie…et je pense que d'ici quelques mois nous aurons droit un carnet de voyages car il nous envoie des mails et des images qui font rêver…

Mais s'il continue à travailler son instrument- totalement indispensable précise-t-il- et même s'il nous parait parfois trop éloigné (à nous, à sa famille à sa compagne!), il n'hésite pas à faire irruption pour un bœuf à l'occasion d'un concert au Prieuré de Manthes comme ce fut le cas en septembre dernier ou à Saint-Sorlin-en-Valloire, son village natal, où il est extrêmement populaire. Là, vivent sa sœur, épouse du président de l'harmonie, et maman de deux enfants dont Étienne, 1er prix de trombone du conservatoire national supérieur de musique de Paris, professeur au conservatoire de Valence, et sa très sympathique maman qu'il n'oublie jamais.

Entre temps, il a eu avec Geneviève Manois, dont il est divorcé mais qui reste proche, Jean-Romain qui est aussi plein de talent. Aujourd'hui, il fait route avec sa belle et brillante compagne Sylvie Favier, éminente juriste grenobloise, ancienne élève de l'ENA, actuellement présidente du Tribunal Administratif de Melun.

Tous deux viennent se reposer aussi souvent qu'ils peuvent -Alain plus que Sylvie- dans leur maison de Saint-Restitut en Drôme provençale ; j'espère donc que nous aurons souvent l'occasion d'avoir Alain avec nous, dans nos rencontres habituelles de l'Académie… Je fais le vœu qu'il n'oublie pas sa trompette pour nous étonner encore avec ses classiques de jazz revisités ou les chansons de Gainsbourg et Trenet en jazz à l'image des CD qu'ils a consacrés à ces deux monstres de la chanson française

Je vous demande donc de faire un accueil chaleureux à ce célèbre enfant de la Valloire dont je suis très fière d'être la marraine.

Discours d'Alain Brunet

Madame la présidente, Mesdames et messieurs les académiciens, Chère Sylvaine,

Je veux tout d'abord m'associer à l'hommage que notre présidente vient de rendre à Wilfride Piollet. Elle était originaire d'Anneyron, en Drôme des collines, et si je n'ai pas eu la chance de la rencontrer alors qu'elle dansait à l'opéra de Paris, elle représentait pour moi l'exemple d'une très belle carrière artistique, d'une carrière réussie au service d'un art difficile, particulièrement exigeant et non exempte de problèmes physiques car, vous le savez, l'art chorégraphique impose au corps des tortures quotidiennes.

Ce corps à qui elle a beaucoup demandé l'a abandonné. J'ignorais tout de sa maladie, aussi me faisais-je une joie de la rencontrer au sein de notre académie. Je présente à sa famille et à ses proches mes condoléances émues et attristées.

Je mesure l'honneur que vous me faites en m'acceptant dans ce cénacle drômois de lettrés. Je n'ai pas d'ouvrages, de romans, d'essais ou de véritables publications à mon actif à la différence d'un certain nombre d'entre vous. Tout au plus des articles pour des revues, et bien sûr une production musicale ordonnée autour du disque, du documentaire et du concert.

Sylvaine a eu la gentillesse de rappeler ce que fut par quelques aspects ma vie publique dans sa dualité. Je dois à la vérité dire que ce ne fut pas toujours facile à vivre. Pensant à ce que j'ai fait et surtout ne pas fait, il m'arrive parfois de regretter de ne pas être allé au maximum des possibilités sur l'un ou l'autre des champs. Aurais-je manqué de force morale, de persévérance, de travail obstiné pour accomplir une carrière d'artiste à l'image par exemple de celle de Wilfride Piollet ? Peut-être.

Michel Serres, alors que je le voiturai sur les routes du Sud Ouest qu'il affectionne, me questionnait sur la pratique de mon instrument et me fit en guise de conclusion cet aveu : "Tu vois, jouer d'un instrument a quelque chose d'hygiénique ; je crois que je t'envie." Il est vrai qu'une pratique artistique quotidienne vous plonge dans un monde qui présente au fil du temps des aspects inconnus comme autant d'équations à résoudre. Elles ne sont pas toujours résolues loin s'en faut, aussi la morosité peut-elle vous gagner. Mais, en vérité, on sort bien souvent de cette souffrance par le haut.

Je crois que là est le propre de la pratique artistique. Il y a, certes, une souffrance mais elle peut-être féconde. Pour la création, bien sûr, et peut-être au-delà, pour sa propre vie dans le sens où elle oblige à un autre regard, à une distance, à des indulgences. Oserais-je dire qu'elle peut aussi nourrir le regard de celui qui fait le choix du service public ?

Je pense aussi profondément que l'artiste peut, que dis-je, doit avoir un rôle social. J'ai été par exemple très heureux de travailler sur le métissage qui est porteur d'altérité, au sens de la reconnaissance de l'autre dans sa différence. Aller à la rencontre d'autres musiciens hors de son horizon, hors de sa culture. J'ai vivement souhaité cette démarche qui n'allait pas de soi dans ce petit monde qu'est le jazz français. Certes me direz vous, le jazz est une musique métissée dès l'origine. Mais précisément, je suis de ceux qui pensent qu'il doit continuer à se métisser et ce faisant, s'enrichir en couleurs.

Quel plaisir que le mien éprouvé en Iran, au Pakistan, au Pérou, en Egypte, en Australie, en Inde et en différents états africains lorsque j'eus la chance de travailler avec des musiciens de musique traditionnelle de ces pays. Car, au fond, je ressentais ce sentiment d'utilité sociale, de plaisir du partage avec des hommes qui, pour la plupart n'avaient jamais été confrontés à cette expérience

Bien évidemment, l'enfance, l'adolescence ont été les périodes où ont maturé les choix de carrière, c'est un lieu commun. Un grand père et un père premiers magistrats d'une commune, fut-elle de taille très modeste, un oncle instituteur mort aux chantiers de jeunesse, cette création d'un sinistre maréchal, ont probablement guidé mes premiers pas de grand adolescent vers le service public via l'école normale d'instituteurs. Je ne l'ai pas regretté bien sur; j'en suis même fier. Je pense avoir été utile à la collectivité ; un seul souvenir ; le temps passé et l'énergie consacrée avec tous les services de l'Etat, du département et du Crédit agricole dans l'un de mes postes de sous-préfet pour sauver d'une misère certaine plus de cent familles d'agriculteurs domiciliés en Puisaye nivernaise ; certains m'envoient encore leurs vœux près de 30 ans après…

Cette utilité sociale est ressentie très différemment quand on est un collaborateur de ministre, qui plus est du ministre de la culture. Il faut déjà se poser la question de qui sert-on ? Le ministre ? Sa politique ? Le ministère de la culture ? La vie culturelle et artistique du pays? Je vous avoue ne pas avoir eu, toujours bien clairement, la réponse car, comment démêler ce qui apparaît comme un écheveau quand on a le nez dans le guidon 15h par jour. Mais cette époque fut pour moi celle du début d'une double vie à temps plein si je puis dire. Car Paris est aussi la capitale du jazz. Y jouer est relativement aisé. Dés lors, comment concilier le plaisir d'une fin de soirée dans un club de jazz enfumé (ce n'est plus le cas aujourd'hui) et le service de l'Etat, ou du ministre dés 9h du matin ? En vérité, Jack Lang n'était pas très matinal et je n'étais pas un musicien oiseau de nuit.

Mon adolescence plus haut évoquée fut aussi le temps de la découverte de la musique en général et du jazz en particulier. C'est dire que fut aussi dual mon environnement éducatif à un moment où se forge la sensibilité, où se dévoilent les désirs. Il faut peut-être y voir la cause de choix ultérieurs associant à une carrière au service de l'Etat, une vie de musicien dont je n'ai jamais imaginé qu'elle serait une vie de bohême.

Je n'ai donc pas choisi entre deux vies très différentes. Probablement parce que je n'aime pas choisir et puis, me direz-vous, fallait-il choisir ?

Ce qui est parfois désagréable in fine, c'est de voir surgir des regrets des deux côtés : j'aurais aimé être préfet ou ambassadeur ; je ne l'ai pas été ; j'aurais aimé avoir une grande carrière de musicien à l'image d'un Michel Legrand avec qui j'ai toutefois eu la chance de jouer sur quelques unes des plus belles scènes du monde, je ne l'ai pas eue…

Des concessions de part et d'autre étaient impératives. L'appartenance au corps préfectoral et la pratique d'un instrument à haut niveau ne sont pas compatibles. J'ai donc dit adieu à celui-là pour espérer garder celle-ci… Ai-je bien fait ? Je n'en sais rien. Ai-je réussi ce pari ? Ce n'est plus à moi mais au public de mes concerts de le dire.

Me voilà devant vous avec ces interrogations. Je reviens à ma première observation : quelle est ma trace si je puis dire alors que vous m'admettez dans ce cercle d'académiciens drômois ? Elle est bien sûr celle de mes disques : vinyls tout d'abord, puis CD qui sont autant de cailloux qui jalonnent, si je puis dire, ma carrière; une dizaine sous mon nom rappelait Sylvaine et plus du double dans divers groupes. Elle est aussi celle des critiques, des écrits. La trace de mon travail est aussi dans les "constructions", je pense aux festivals bien sûr ; et enfin dans un grand nombre de concerts un peu partout sur la planète. Mais le temps musical n'est pas le temps de l'action politique, de l'action publique qui est évaluée au quotidien. Le temps artistique est parfois évanescent à l'image de ces magnifiques fresques antiques qui disparaissent au contact de l'air dans Roma de Fellini. `

Lucien Malson, l'auteur de L'enfant sauvage qui fut le critique Jazz du journal Le Monde durant plusieurs décennies, a eu la gentillesse de me consacrer un portait dans le numéro de l'année 2014 des Cahiers du jazz titré : Alain Brunet, musicien administrateur, globe trotter. Il faisait allusion bien sûr aux concerts que nous donnons avec le groupe que j'ai fondé, sur les cinq continents depuis quelques années, précisément depuis que j'ai cessé toutes activités administratives. Mais il voulait surtout, vous l'avez compris, souligner ma double vie publique qui a nourri ces quelques réflexions que je soumets à votre sagacité alors que vous avez la gentillesse de m'accueillir au sein de cette belle académie drômoise.

Merci madame la présidente, merci à vous toutes et vous tous pour l'honneur que vous me faites. J'essaierai dans les mois et années prochaines de mériter ce titre d'académicien que vous me conférez ce jour.

Je vous remercie